Membre émérite de feu le Saïan Supa Crew, Féfé revient à la rentrée là où ne l'attendait pas forcément avec Jeune à la Retraite. Composé en grande partie à la guitare et peaufiné avec le producteur Dan the Automator (Gorillaz, Kasabian, Anaïs…), ce premier solo est une petite perle où s'entrechoquent tous les styles. Désormais apaisé, le rappeur endigue son débit TGV et l'enrobe sans complexes de superbes passages chantés. L'album de la métamorphose, à découvrir en avant-première cette semaine avec le single Dans ma rue.
Est-ce que tu définirais encore ta musique comme du hip-hop ?
C'est même mieux, c'est encore plus hip-hop que hip-hop (rires) ! Je m'explique : j'ai toujours fait du son à base de samples mais à un moment je me suis senti coincé par le sample lui-même, par sa forme figée. Alors j'ai commencé à me demander comment ces musiques que j'aime tant – jazz, funk, soul… – ont été créées, comment les Marvin Gaye, Stevie Wonder, Ray Charles ou Fela Kuti ont imaginé ces morceaux. J'ai vraiment eu une démarche de fond qui se ressent sur cet album, où j'ai voulu créer mes propres samples. C'est-à-dire que tout est joué, mais j'ai tout resamplé derrière, rajouté une boucle là, ou un instrument joué "live" qui va donner de la vie à l'ensemble, qu'il y ait un grain particulier, comme sur mes vieux vinyles. Au final, je trouve que ça ne ressemble à rien de ce qui se fait aujourd'hui dans le rap français…
Justement, est-ce que nager à contre-courant des tendances actuelles n'est pas un peu du suicide commercial ?
Je me suis beaucoup posé de questions pendant que je faisais cet album. J'ai écouté les radios, j'ai entendu ce que les mecs disaient et je ne m'y retrouvais plus du tout, je me demandais quel âge j'avais… J'ai fini par me dire : "toi tu es toi, et c'est ça qu'il faut que tu fasses et tu dois le faire à fond". Je ne vais pas demander à Booba de faire ce que je fais, ce n'est pas ça l'idée. Lui il a son truc et moi j'ai le mien. Mais le vrai suicide, je pense, c'est se mentir à soi-même. Je ne vais pas faire du jeunisme, je ne sais pas faire et ça ne m'intéresse pas. Quand on faisait cet album, je disais à Sir Samuel que j'avais l'impression d'être arrivé en face d'un mur. Aujourd'hui, le mur je l'ai escaladé et maintenant je me jette dans le vide. Je ne sais pas encore si je vais me rattraper, mais si je dois me rétamer, ce sera de la plus belle façon qui soit, en faisant une super figure (rires). Ce disque, c'est un saut de l'ange.
Donc tu as arrêté de te poser des questions ?
Exactement. Et c'est quand j'ai arrêté de me poser ces questions que des choses qui me plaisaient vraiment ont commencé à sortir. J'ai donc fini par faire ce qui me paraissait naturel, comme par exemple poser un beat hip-hop sur une guitare blues ; ça me semble logique parce que ces éléments viennent de ma culture. Au début, j'étais parti pour faire un album de rap pur, mais je me suis rendu compte que j'en savais plus que ça et que ça aurait été dommage de me restreindre. C'est quand tu sonnes sincère que tu touches les gens.
D'où es né cet album, finalement ?
À la fin du Saïan, j'étais vraiment dégoûté. J'avais tellement kiffé avec ce groupe, on a tellement tout fait et dans tous les sens que je ne me sentais plus l'envie de recommencer ailleurs. Lors de l'enregistrement du troisième album du Saïan, Patrice m'avait offert une guitare et j'ai commencé à gratouiller quelques trucs dans mon coin. La première chanson que j'ai écrite s'appelait Être père et parlait de trucs sur mon père que je n'avais jamais pu sortir avant. Ça m'a limite choqué d'avoir pu écrire un truc pareil mais c'est aussi ce qui m'a poussé à continuer dans cette voie-là.
Ton album s'appelle Jeune à la retraite. Est-ce important pour toi d'assumer le fait d'être un rappeur trentenaire ?
Complètement. Et le meilleur exemple est sur la chanson Goodbye, qui est une chanson de rupture avec le rap d'aujourd'hui. En substance elle dit "voilà, tu es le plus grand amour de ma vie et je t'aimerai toujours, mais là c'est plus possible". J'avais très peur de faire un truc trop gnagnan, surtout que c'est une chanson guitare/voix, c'est facile de tomber dans le piège de la ballade mielleuse. Je me suis donc pris la tête pour qu'elle conserve un côté hip-hop. J'ai utilisé des phrases simples, percutantes comme dans le rap ou dans les proverbes africains qui disent beaucoup de choses en peu de mots. Au final c'est une "chanson de rue". Et si un mec un peu pointu en son écoute le morceau, il se rendra compte que toutes les deux mesures ça fait une boucle de hip-hop. Personne ne le verra, mais j'en suis très fier (rires).
Tu es connu pour être un rappeur très technique avec un flow rapide. Sur cet album tu t'es beaucoup calmé, pourquoi ?
Parce que j'avais envie que les gens comprennent ce que je dis (rires) ! Et puis je l'ai fait, je sais que je peux le faire et ça me suffit. Au sein du Saïan, ça avait tout son sens parce qu'on était dans la performance. Quand tu as seize ans, c'est "t'as vu, je t'en ai mis plein la gueule" ; quand tu en as trente, c'est "je T'EXPLIQUE que je t'en mets plein la gueule" (rires). J'ai appris à découvrir la beauté de certains flows, comme celui de Jay-Z, où ça n'a pas l'air compliqué au premier abord mais où en fait les allitérations tombent juste, ça rime sans rimer, tu ne comprends pas ce qui se passe mais ça marche. Je comprends mieux tout ça aujourd'hui, et je connais tellement bien la métrique que je peux me permettre de jouer avec.
Enfin, une autre de tes caractéristiques, c'est que tu chantes, ce qui n'est pas toujours bien vu pour un rappeur…
J'ai fini par comprendre qu'il y a une différence entre chanter juste et chanter bien. Au sein du Saïan, tout le monde me poussait à chanter mais quand tu as Sir Samuel et Sly dans ton groupe, tu la fermes parce que tu sais que tu peux pas rivaliser (rires). Puis, lorsque j'ai participé au projet Music'All, c'est là où j'ai vraiment compris que ce n'est pas le tout d'avoir une belle voix, mais qu'il faut avant tout chanter avec ses tripes et les mecs m'ont vachement encouragé dans ce sens. Ça m'a beaucoup aidé au moment de faire cet album. J'ai récemment découvert un mec comme Bob Dylan : ce mec chante mal, mais en fait il chante bien. Enfin, tu vois ce que ce je veux dire (rires) ?